C'est jaune. Foncé, avec quelques nuances de nacres piquées sur les contours. Ça ressemble vaguement à un mélange étrange entre un visage humain et un mouton gonflé aux hormones. Et ça, Mayson, ça l'intrigue.

Ou plutôt, voilà tout ce qu'il essaie d'admirer, avachit mollement sur le banc des coupables; la tête planquée entre sa veste à capuche et son vieux keffieh. Peu importe où son regard le porte, rien ne lui semble plus intéressant que cette tâche qui lui rappelle vaguement l'état général de son appartement un lendemain de cuite. Tout autour de lui, ça gueule, ça s'insulte, ça s'agace et ça s'angoisse. Mayson, lui, se sent toujours paisible. Jamais à cran, jamais inquiet. Même lorsqu'il le devrait. Ces bruits de fond, il les connaît par coeur. Il n'y fait même plus attention. S'il préfère volontiers être ailleurs, il n'est pas idiot au point de s'affoler. Ça n'arrangerait rien, de toute manière. Il ignore bien ce que les familles de ses clients peuvent avoir contre lui. Si c'est sa gueule de con fini, son tempérament idiot ou le fait de s'attirer toujours la sympathie des vieux aux patrimoines conséquents. Nul doute que l'on voit rarement d'un bon oeil l'étranger qui vient fraterniser avec son futur héritage. Même en toute innocence. Le fait est qu'aujourd'hui encore, son boulot le met plus dans la merde qu'il ne l'en ressort.

Un soupire pénible lui déchire la gorge, alors qu'un accusé - à tord hurle-t-il férocement à son gardien - semble se débattre avec véhémence contre ses menottes. Dude. Ça sert à rien c'que tu fais. À part à te faire mal. Le masochisme, ça se soigne. Il n'y qu'à lire Fifty Shade Of Grey, parait qu'on se fait autant de mal à la lecture que dans un club échangiste underground. Mayson, lui, s'accommode très bien des siennes. Il s'est même payé le luxe de charrier ce bon vieux Abraham sur le fait que, quand même, il prenait toujours un malin plaisir à les lui mettre à chacun de ses passages, ça cache un truc cette histoire, j'espère que ta femme en profite aussi un peu mon vieux, le contraire serait dommage. Un ricanement suggestif plus tard et on l'a retrouvé là, à fixer cette foutue tâche comme si sa vie en dépendait. Dieu que l'attente est longue.

L'espace d'un instant, il se demande vaguement si ce Dieu existe vraiment, s'il a une sérieuse dent contre sa personne, si cette tache ne serait pas le signe de sa présence, là, tout autour de lui. Mais l'idée même qu'un vieux barbu hagard puisse s'emmerder à taper son blase au fin fond d'une cellule de commissariat le met relativement mal-à-l'aise. Non, aujourd'hui, son seul Dieu, son sauveur, son Dalaï-Lama, s'incarnera fièrement dans la personne d'Oliver Skalvoski. Peut-être. S'il écoute son message vocal remplit de supplication hasardeuse et d'une ou deux blagues vaseuses sur le fait que, quand même, les menottes ça claque mais ça fait foutrement mal au poignet cette merde, j'me demande comment font les types des clubs BDSM pour supporter ça, allez, s'te plait, j'veux pas rester là, ai pitié et viens payer ma caution, promis, je rembourse et en plus y'a un mec chelou dans ma cellule.

Son pauvre et malchanceux avocat qu'il n'a pas hésité à appeler à la rescousse comme les Darlings peuvent compter sur Nick George pour les tirer d'affaires. La comparaison s'arrêtant là, puisque Mayson n'a décidément aucun foutu rapport avec cette famille barré que sont les Darlings et qu'Oliver n'a aucune putain de ressemblance avec Peter Krause. Pas même de loin. D'autant plus que présentement, le seul rapport qu'il trouve entre sa situation et Dirty Sexy Money, c'est le côté dirty. Sa tête percute vaguement le mur sur lequel son dos se repose lorsqu'enfin, le vieil Abraham revient lui faire grâce de sa présence de vieux cinquantenaire apathique, mais néanmoins sympathique. Accompagné, cela va de soi. La mine soudainement soulagée, Mayson s'autorise alors un large sourire en direction de l'intrus attendu avec impatience.

” Aaaah, putain, y'a vraiment un sauveur dans ce monde. J’ai vraiment cru que j’allais rester pourrir ici pendant trois jours. “ Keep calm le touriste. Ça peut toujours arriver. Le cliquètement des menottes résonne entre les quatre murs de la  cellule, tandis que l'irlandais daigne enfin lever le cul de son petit banc de pierre pour se rapprocher d'une sortie bien méritée.

- crooner curves

Quick and Dirty

« Marchirio a été libéré par son avocat pour vice de procédure. » Oliver peste, jure comme  un charretier et remercie sa secrétaire d’une main molle. Il aurait apprécié ne pas voir à travers la porte baillante de son bureau les regards curieux mais gênants de ses collaborateurs. Mal-né, il aurait enterré lui-même cette raclure, il lui aurait collé une balle dans la tête, là, entre les deux yeux. Le destin a volé ses munitions, hélas, pour lui offrir ce costume qu’il endosse chaque jour à la manière d’un héros de tragédie grecque: sa robe d’avocat. Sa persévérance a tourné à l’obsession — car c’est un poignard qu’on lui plante aujourd’hui. C’est pas la maladresse d’un brave officier de police. C’est toujours la même chose: des preuves disparaissent, des témoins se rétractent et partout, de l’argent sale à ne plus savoir qu’en faire. Désabusé, Oliver aurait bien retrouvé Desmond pour oublier sa déconvenue, oublier qu’il venait de perdre cinq mois sur ce dossier et de longues nuits d’insomnie. Les dents serrés, il prit une pile de plaintes posées au préalable sur son bureau avant de la jeter sans vis à vis à la poubelle. Signe qu’il abdiquait pour la journée, peut-être même pour le mois. Parfois, il lui arrivait d’espérer aller au-delà la corruption mais toujours le piège se refermait. C’était la fois de trop, son orgueil venait de prendre un vilain coup, il se sentait humilié.

« J’ai un message vocal pour vous du poste de police au sujet d’un prénommé Mayson Macmillan. » Il acquiesça sans dire un mot ; il l’avait presque oublié, cette énergumène. Avant de prendre l’appel, Oliver savait déjà de quoi il en retournait. Une fois de plus, une famille fortunée s’étonnait de voir disparaître des objets de valeur dans l’espoir de prouver, par A+B, que Mayson se jouait de la santé fragile du patriarche pour mettre la main sur l’héritage de ses enfants et petits-enfants. De ce fait, l’histoire était déjà entendue, s’occuper de se défense relevait du cas d’école. Oliver ne doutait pas un seul instant de la bonne parole de son client, comme souvent, il voyait en ses accusations absurdes un délit de faciès. Lui-même était agacé par l’allure désinvolte de son client, ils ne pouvaient pas les blâmer outre mesure. Néanmoins, il voyait là l’opportunité d’occuper sa journée, de jouer les héros pour au moins une personne et de rétablir une vérité même relative, même inintéressante à ses yeux. L’avocat prit soin de modifier son emploi du temps et de signaler ce changement à sa secrétaire. À l’extérieur, un soleil de plomb vint le cueillir, de quoi ressasser ses vieux démons, de quoi ruminer contre la police de L.A. aussi.

« J’espère que vous mettez autant d’énergie à arrêter les vrais criminels que les petites frappes sans importance agent Rainer. » Petit pic gratuit, Oliver est complaisant, il en veut à tout le monde mais surtout à lui — pour son indulgence à con, son optimisme débile et son agressivité bidon. Il n’est pas l’avocat qu’il aurait aimé avoir pour se défendre, il faisait un bien piètre cheval de course quoiqu’en dise Mayson pour se tirer d’affaire une fois de plus. Si l’apathique Abraham lui indique l’heure à laquelle son client s’est vu affliger d’une énième garde à vue, il lui indique également que ledit Mayson passera probablement la nuit ici si sa caution ne trouve pas preneur. « Vous trouvez toujours un moyen de vous faire de l’argent, c’est dingue. »

« Je ne suis pas le Petit Jésus Mayson. Autrement dit, j’ai pas d’argent à jeter par les fenêtres pour ton bon plaisir. Cela dit j’ose espérer que tu as tenu ta langue jusqu’à mon arrivée pour ne pas te mettre davantage dans l’embarras. Trois jours c’est rien, tu dormiras mieux en rentrant chez toi. Et tu devrais te sentir privilégié de me voir débarquer ici pour plaider ta cause qui ne m’intéresse pas le moins du monde. » Oliver a le regard dur, celui du mauvais perdant. Mayson n’est certainement pas à l’origine de tous ses maux mais le penser aide toutefois l’avocat à aller de l’avant. Il n’est pas d’humeur à partir au combat, pas pour cette cause, les interrogatoires et contre-interrogatoires, les plaintes et la mauvaise foi des plaignants. Abraham se rapproche pour ouvrir la porte et faire sortir Mayson. « J’ai payé ta caution, donc j’espère vivement que tu vas te tenir durant l'interrogatoire. » Un sourire se dessine sur le visage de l’avocat qui demande aussitôt à s’entretenir avec son client.